LA NOUVELLE EDUCATION DÉMOCRATIQUE: Pourquoi nous en
sommes là ?
Une démocratie fondée sur l’intelligence ne peut
exister que si elle traite le problème des conditions psychologiques qui
permettent à chacun de se construire dans un rapport non névrotique au réel.
Nous n’en sommes pas là.
La démocratie n’est pas une tentation ; elle est une aspiration. Notre pente
naturelle nous conduit à la régression autoritaire. L’esprit démocratique doit
s’apprendre. Il a besoin de formation. Cette formation doit essentiellement
reposer sur un diagnostic concernant les besoins, les désirs, les peurs et les
haines des individus, des groupes et des institutions et un traitement
thérapeutique qui par nature ne peut s’adresser qu’à des individus en
relation.
Une nouvelle
éducation civique devra nous apprendre à connaître ces besoins, ces émotions,
ces passions et nous donner des outils pour les réguler. Cette formation à la
démocratie ne pourra pas être un endoctrinement ou une propagande car alors le
résultat atteint serait le contraire exact du but poursuivi. On n’enseigne pas
la démocratie avec des méthodes qui ne sont pas démocratiques.
Or, actuellement,
nos institutions socioculturelles, l’école ou les partis, par exemple, ne sont
pas des institutions démocratiques car elles sont infantilisantes et
méprisantes et ne préparent pas les individus à l’autonomie, à la prise de
conscience, à la créativité et à la confiance en soi, qui sont les conditions
indispensables au fonctionnement d’une intelligence adulte.
Déjà, à la fin du
XIXème siècle, Jean Jaurès avait compris les raisons pour lesquelles les
révolutions, qui tendent à libérer le peuple du despotisme, finissaient
toujours par lui échapper : « Qu’est-ce qui manque le plus au peuple, dans
l’ordre intellectuel et moral dont tout le reste dépend ? C’est le sentiment
continu, ininterrompu, de sa valeur » (La Dépêche, 14 juillet 1889).
Aujourd’hui, plus
que jamais, le peuple a perdu le sentiment de sa valeur car il a l’impression
que le monde de la science et de la technique ne peut être appréhendé que par
des experts. C’est tout le problème de ce qu’Edgar Morin appelle « la
démocratie cognitive ».
Le monde
d’aujourd’hui apparaît comme le monde de la complexité, pour ne pas dire de la
complication : la multiplicité des informations, les interactions économiques
mondiales, la bureaucratie administrative… renforcent ce sentiment de
dépossession qui et lui-même rendu plus aigu par un système d’enseignement qui
fait croire à ceux qui ne savent pas que d’autres maîtrisent le savoir et
peuvent par conséquent prendre seuls les décisions importantes.
Où est la démocratie
dans ces conditions si le peuple n’a pas le sentiment qu’il peut lui-même
participer à la réflexion sur les choix et les décisions qui touchent à
l’essentiel de sa vie quotidienne ?
L’absence de
démocratie conduit fatalement au despotisme. Ce qui paraît un pléonasme, une
vérité de La Palice, représente le danger le plus grave auquel nous aurons à
faire face : l’homme dépossédé de son pouvoir, réduit à l’infantilisation et à
la frustration de ses besoins les plus importants : amour de soi,
valorisation, reconnaissance, verra monter en lui une violence aveugle et
destructrice. Le sentiment de dépression se transformera en agressivité sadique
et persécutrice, bref en une folie, qui pourra devenir rapidement contagieuse
et collective.
Aujourd’hui, notre
démocratie, notre esquisse de démocratie, si imparfaite et si incomplète, est
gravement menacée par l’envahissement des passions les plus archaïques.
Pourquoi aujourd’hui la démocratie, c’est du conflit et des règles ? C’est
un cadre, un espace et ce n’est pas l’anarchie qui laisse les plus forts
dominer les plus faibles. Le manque d’une véritable éducation à la démocratie
ne favorise pas l’esprit critique du citoyen et sa résistance aux propagandes
diverses. De plus, si l’on admet que la démocratie, c’est le libre débat qui
utilise dans un esprit de coopération le jugement critique et la prise de
conscience lucide des affects, il est certain que les circonstances extérieures
ne sont guère favorables.
L’absence de
satisfaction de nos besoins essentiels et légitimes d’affectivité, de
reconnaissance, de valorisation et de sécurité nous pousse à les satisfaire
malgré tout de façon quasi pathologique. Le sentiment de mépris et l’absence de
pouvoir réel sur la vie entraînent une profonde dévalorisation et une perte du
sentiment de confiance en soi chez la plupart. L’effondrement des systèmes
politiques traditionnels, les changements considérables dans les mœurs, les
techniques et l’économie, la disparition du monde rural et même du monde
industriel, les changements des rôles de l’homme et de la femme, les
inquiétudes pour l’avenir mettent en péril le sentiment de sécurité.
L’éclatement des structures familiales, les sentiments de solitude, l’effacement des solidarités traditionnelles nous font ressentir plus cruellement encore le manque d’amour et d’affection. La porte est ouverte alors sur la satisfaction pathologique de ces besoins de base : le narcissisme de groupe, qui permettra à l’individu de compenser une valorisation individuelle défaillante, du vivre l’amour dans la fusion chaleureuse du groupe et de sentir avec certitude qu’il fait partie du camp des élus.
L’éclatement des structures familiales, les sentiments de solitude, l’effacement des solidarités traditionnelles nous font ressentir plus cruellement encore le manque d’amour et d’affection. La porte est ouverte alors sur la satisfaction pathologique de ces besoins de base : le narcissisme de groupe, qui permettra à l’individu de compenser une valorisation individuelle défaillante, du vivre l’amour dans la fusion chaleureuse du groupe et de sentir avec certitude qu’il fait partie du camp des élus.
Dans son discours du
17 août 1789 sur la déclaration des Droits de l’Homme, Mirabeau montre bien que
les obstacles à une démocratie véritable, sont les « absurdes oppressions »,
les « préjugés d’ignorance et de cupidité » et les « jalousies insensées »,
c'est-à-dire en fait les passions, irrationnelles par essence. Il serait bon
qu’on se préoccupe enfin de réfléchir aux conditions psychologiques qui
permettront l’existence et la pérennité d’un régime fondé sur la liberté,
l’égalité et la fraternité des citoyens.
A mon avis, la
première de ces conditions, c’est de prendre en compte les « absurdes
oppressions » : compréhension et traitement des causes du désir de domination
et de maîtrise de l’autre, compréhension des attitudes de mépris, des attitudes
de soumission et d’idolâtrie de la puissance. Il nous faut, pour relever ce
défi, une véritable formation à la coopération.
La seconde condition concerne ce que Mirabeau appelle les « jalousies insensées » : compréhension et traitement de la peur et de la haine pathologiques, insensées, quand elles ne sont pas justifiées par des dangers réels. Cela appelle une formation à la confiance en soi et à la connaissance de soi.
La seconde condition concerne ce que Mirabeau appelle les « jalousies insensées » : compréhension et traitement de la peur et de la haine pathologiques, insensées, quand elles ne sont pas justifiées par des dangers réels. Cela appelle une formation à la confiance en soi et à la connaissance de soi.
Il s’agit enfin de
prendre en compte les « préjugés » : prise de conscience des éléments affectifs
et irrationnels qui empêchent une vision lucide et objective des problèmes à
résoudre. Il nous faut donc, à cet égard, une formation au jugement et à
l’esprit critique.
On le voit bien,
même si les formes prises par les aliénations sont différentes selon les
époques, les causes profondes ne changent pas. Les conditions politiques,
économiques et sociales ne doivent pas être séparées des conditions
psychologiques. Ce sont ces dernières qu’on néglige le plus souvent, parce
qu’elles supposent une mise en question de nos comportements individuels.
En fin de compte, la
démocratie, c’est la coopération, la possibilité de résoudre ensemble les
problèmes et les conflits, en parvenant à prendre conscience des passions, des
émotions et des préjugés « insensés » qui nous manipulent.
Elle suppose l’écoute, le dialogue, la sincérité et
l’objectivité, conditions indispensables à son exercice quotidien et effectif.
Elle doit s’apprendre.
Faute de cet apprentissage, le danger est grand de voir les conflits individuels et collectifs non résolus se transformer en recherche de boucs émissaires et en tentation totalitaire.
Faute de cet apprentissage, le danger est grand de voir les conflits individuels et collectifs non résolus se transformer en recherche de boucs émissaires et en tentation totalitaire.
Ce texte me pose cependant quelques problèmes, et ceci dès son début : Une démocratie fondée sur l'intelligence ? Ben non, fondée sur la raison, car l'intelligence des choses, même votre humble serviteur avec son QI à faire peur, n'en dispose pas, alors que la raison n'est qu'une méthode pour en juger.
RépondreSupprimerLa psychologie et l'émotionnel des humains non achevés pathologiques qui sont légions, pose effectivement un problème social; A qui revient la faute ? A l'individu ou à l'Etat ? L'Etat doit-il gouverner les hommes tels qu'ils sont ou en faire des aboutis confirmés. L’État a t-il pour mission d'élever la bête au dessus du niveau du singe ? Car autant mettre tout de suite les pieds dans le plat : l'humanité est une race de sous-hommes.
Le peuple est un concept, un fantasme. Par ailleurs personne n'a été dépossédé de quelque chose qui ne l'a jamais été, possédé ! l'infantilisme est un préalable et non un aboutissement.
Rojzman nous parle de besoins importants, qui sont ... pathologiques (amour de soi, affectivité, valorisation, reconnaissance), même si les passions archaïques, le narcissisme, l'ignorance et la cupidité, sont pire. De plus, le diagnostic de manque du sentiment de valeur me semble absurde, alors que les plus stupides se croient en général supérieurs aux autres.
Un vrai problème réside dans le culte des experts, qui ne sont experts qu'en rituels académiques d'une infime tranche de saucisson de l'humain. Il y aurait donc lieu de faire passer des examens psychologiques à ces experts et à tous les politiques, pour les faire descendre du haut de leur piédestal, et interdire l'accès des ors de la république.à tous ceux qui n'ont pas le niveau requis.
Les désirs de domination, le mépris, la soumission, l’idolâtrie de la puissance, mènent le monde, c'est ce qui caractérise notre leurre de démocratie, et qui faute de tout remède, risquent fort d'aboutir à des régimes totalitaires à peine pire.